Mr. Lee parlait trop vite. Oui, beaucoup trop vite. Woody n’arrivait pas à écrire au bon rythme, il avait déjà trois paragraphes de retard et le pesant de toute sa famille depuis cinquante-huit générations en fautes d’orthographe. Il ne pouvait même pas écrire les cours en alphabet, il n’y comprendrait plus rien. Il essayait de prendre des notes en anglais, mais il prenait beaucoup trop de temps à traduire les mots compliqués.
Le jeune homme soupira. Dès la première heure de cours, du premier jour, de la première année, Woody décrochait. Il désespérait. Avait-il réellement la capacité de comprendre une autre langue que l’anglais ? Avait-il vraiment appris quelque chose pendant les deux mois d’été où il avait sué comme un malade pour savoir parler, écrire et lire coréen ?
Enfin, la cloche sonna. Ses échos se répercutèrent sur tous les murs de l’école, et longtemps encore dans la poitrine de Woody. Il rangea lentement ses affaires, attendant que tous les élèves soient sortis, pour demander au professeur de lui résumer le cours, chose qui n’était pas gagnée, imaginant la gentillesse légendaire d’une personne aussi froide qu’une bouteille d’eau ayant été congelée trop de temps en Alaska qu’était Mr. Lee. Mais avant qu’il n’ait pu faire un pas vers le bureau du professeur d’Histoire de la Magie, une jeune fille, à l’air impassible et le regard froid, l’arrêta.


Si tu veux que le prof te résume le cours, c’est mort.
Je… Comment ?


Elle reprit moins rapidement.


Si toi vouloir avoir un résumé du cours, toi avoir rien.
Oh… Je… Merci de l’info, je m’en doutais un peu.

Il lui sourit timidement. Elle fronça légèrement les sourcils. Il haussa les épaules, déstabilisé par cette réaction.

Je m’appelle Woody Scho…
Je sais. Kim Byung Soo.
Enchanté. Je peux t’appeler KBS ?
Non.
Tu pourras me prêter ton cours s’il te plait, KBS ?


Grand sourire angélique.
Moue ennuyée.
Son premier amour.

Woody ouvrit la porte et découvrit son appartement. Ebahi par l’espace et le calme, il referma lentement la porte. Il s’avança dans la pièce, observant tour à tour chaque recoin, imaginant d’avance où se trouveraient chacun de ses meubles. Il envisageait d’installer une table ronde à côté de la petite cuisine qui avait été aménagée dans le coin au fond à droite, qui donnait sur le parc voisin via une large fenêtre. Son lit serait près de la cuisine, avec une table de nuit et un petit tapis. Ses bibliothèques de livres, jeux, DVD, CDs, vinyles, magazines et albums photos sépareraient sa « chambre » du « séjour ». Un canapé en vieux cuir, disposé en L serait contre les bibliothèques, qui cacheraient l’arrière des sofas. En face, il y aurait la télé, le lecteur DVD et sa Xbox ainsi qu’une table basse. Au côté opposé, il disposerait ses bureaux, son ordinateur, sa radio et au dessus de son bureau, une horloge. Oui, ça serait comme ça et pas autrement. D’ailleurs, il avait déjà un plan de la pièce.
On toqua à la porte. Woody sursauta en sortant soudainement de sa rêverie. Il alla ouvrir, curieux. Un homme, souriant, le salua chaleureusement avec un accent canadien prononcé.


Hey l’ami ! T’avais tes clefs dehors, j’aurais pu te les prendre, mais chu trop gentil. Tiens !
Euh… Merci.
Au fait, moi, c’est Hugues. Hugues Ménard. T’es Woody Schofield, le nouveau voisin non ?
C’est moi. Comment connais-tu…
Ton nom ? Toutes les filles de l’immeuble le répètent depuis plus de deux semaines.
Mais… J’ai vu l’annonce y’a cinq jours seulement.
Je plaisantais l’ami ! J’ai vu ton nom sur la boîte aux lettres. Mais avoue que la première version est meilleure que celle-là.
Sans vouloir t’offenser, je préfère celle-là.
Ah.


Il y eut un silence. Hugues était aussi grand que Woody, voire un peu plus. Il était brun, avait les yeux bleus. Si l’on s’arrêtait seulement sur ces détails, on aurait pu croire que Woody et Hugues étaient de la même famille. Mais Hugues avait une forte mâchoire, les oreilles légèrement décollées et un front large. Ses lèvres étaient charnues et ses cheveux étaient courts. Néanmoins, il était beau. Très beau.


Hum. Bon, je te laisse. J’ai quelques courses à faire. Tu as besoin de quelque chose ?
Oui, de mes meubles qui m’attendent en bas.
Tu veux que je t’aide ?
Non, ça ira. Je pense que j’aurais rapidement fini.
Comme tu voudras l’ami. Bon courage !


Woody lui répondit avec un sourire gêné. Hugues entra dans l’ascenseur, appuya sur le rez-de-chaussée, disparut derrière les portières qui se refermaient peu à peu puis descendit.

A son retour, Woody en était encore au troisième paquet. Hugues l’obligea à accepter son aide, puis ils montèrent ensemble les derniers cartons ainsi que tout le petit mobilier. Ils suèrent à déplacer les deux canapés, qui n’entraient pas dans l’ascenseur. Ils furent alors obligés de l’emmener par les escaliers, au sixième et dernier étage. Et après que tout soit mis en place, d’une façon un peu bordélique certes, Woody offrit une bière à Hugues pour le remercier. Il y aurait sans doute passé toute la nuit sans son aide. Et encore.


Hey tu sais, faut que je te dise.
Hm ?
Je crois que je t’aime.


Un silence.


Oh.


Le regard d’Hugues semblait franc. Il ne le quittait pas des yeux, ce qui effraya vivement Woody. Mauvaise blague ou réalité ? Parce que Woody était sûr qu’il était tout sauf gay. Puis… Il aimait encore KBS.


Je plaisantais. C’était pour voir, au cas où. Ouais parce que j’ai eu une mauvaise histoire avec un gars et je veux pas revivre la même chose, j’ai une copine.


Ah.


J’ai vu la photo d’une asiat’ avec toi, ton amoureuse ?
… Plus maintenant.
Ah, désolé. Vous étiez choupinets ensemble.


Woody soupira profondément. Il n’avait pas voulu que ça se finisse ainsi avec KBS. Si seulement…


Enfin, c’est du passé ! Alors toi, racontes-moi tout sur ta fameuse « amoureuse » !
Pour préserver son anonymat, je l’appellerais X. Elle est brune et je l’ai rencontré l’année dernière, en boîte. Je sais, c’est pas un super endroit pour se trouver la femme de sa vie, et pourtant, je l’ai trouvée… Je parie que plus tard, on racontera à nos enfants comment est-ce qu’on s’est rencontré avec un regard complice… D’ailleurs, si j’ai une fille et un garçon, je les appellerais Jean (à prononcer Gin) et Max. Si j’ai deux garçons, je pense qu’ils s’appelleront Max et Tim. Et si j’ai deux filles, la première s’appellera Jean et la seconde Marina. Enfin, qu’est-ce que je racontais moi déjà ? Ah oui… Comment est-ce que je suis tombé sous le charme de X. Eh bien figures-toi que je m’étais trompé de toilettes et…


Woody sourit, se faisant lentement bercer par les paroles d’Hugues, fermant lentement les yeux. Il était transporté autre part, dans la forêt, où il s’était souvent aventuré la nuit avec KBS. Ils couraient, ensemble, sans aucune raison, pour se fatiguer, pour tout oublier. La vie était belle. La vie était simple. Mais aujourd’hui, tout avait changé. Il se revoyait encore, le souffle court, sous la pleine lune, lorsque quelques loups (garous ?) pleuraient misérablement. Lui et KBS commençaient à rire. Oui, c’était une nuit comme celle-là où il l’avait embrassée pour la première fois. Les yeux dans les yeux, les doigts entremêlés, un sourire heureux délicatement dessiné sur leurs lèvres. Son premier « je t’aime » aussi, doucement susurré à l’oreille. Elle avait été la première, et serait certainement la dernière. Mais elle était partie à présent…


Hey ! Hey tu m’écoutes ?
Hein ? Euh… Oui, désolé, je… Je repensais à… Une amie.
Alors je disais. Oui donc on s’est rentré dedans et…


Une amie… Oui, ce n’était plus qu’une amie maintenant, il fallait qu’il se souvienne de ça, vu qu’elle n’était plus là, et qu’elle ne pourrait jamais plus être là à le serrer dans ses bras, à passer sa main aux longs et fins doigts dans ses cheveux, à mordiller amoureusement ses lèvres, à le fixer pendant des heures avec un regard langoureux. Ils ne se reverraient plus jamais. Elle le lui avait promis.

Woody soupira. Ce cours de métamorphose n’était que théorie ennuyante. Puis, il ne connaissait personne, ce qui le changeait beaucoup de son séjour en Corée, ou il savait le nom de tous les élèves, même des nouveaux ou des premières années. Enfin, ce n’était que le premier jour, il avait vécu quasiment la même chose neuf ans plus tôt, sauf que c’était au milieu d’une foule d’asiatiques qui se retournaient avec curiosité lorsqu’il se dépêchait dans les couloirs en tentant de déchiffrer les panneaux. Puis, les coréens étaient vraiment nuls en anglais : « Où est la salle 106 ? » « Wé la salle saucisse ? Hum ? » « Laisse tomber ». Mais d’un côté, il s’y était sentit plus à l’aise. Peut-être était-ce parce qu’il y avait vécu la plus grande partie de sa courte vie. Puis, les gens étaient beaucoup plus accueillants et ouverts tandis qu’ici, chacun semblait être renfermé sur soit. Il fallait absolument qu’il se fasse au moins une connaissance à la fin du cours, sinon, il ne pourrait pas survivre une heure de plus.


Monsieur… Schofield, c’est cela ? Vous semblez très intéressé par mon cours, pouvez-vous me rappeler quelle est la formule que je viens de citer à l’instant ?
Evanesco ?
Hum… Oui, c’était cela. Bon. Hum… Passons.


Quelques élèves pouffèrent en regardant malicieusement le professeur, qui jouait nerveusement avec sa baguette. Ce qu’ils ignoraient tous, c’était que Woody savait faire deux choses en même temps, dont écouter et rêvasser, ce qui s’avérait utile beaucoup plus souvent qu’on ne pouvait l’imaginer. Un jeune homme se retourna alors, lui jetant un bref coup d’œil, puis se concentra à nouveau sur le cours. Il semblait étrange… Comme amusé, mais mélancolique.
Woody avait décidé. Parmi tous ces élèves qui étaient surement tous forts sympathiques, ce serait vers lui qu’il irait. D’ailleurs ça sonnait. Enfin.


Hey salut ! Je m’appelle Woody Schofield… Et toi ?
Jenstel Pawcraft.
Enchanté. Tu as cours là ?
Non.
Han moi non plus. Ça te dirait qu’on aille boire ou manger quelque chose ?
J’ai mangé il y a un petit plus d’une heure. Je n’ai pas faim.
Tu ne veux pas prendre un café ?
Je n’ai pas soif.
Allez, s’il te plaît, je voudrais que tu sois mon ami.


Jenstel haussa un sourcil. Woody était quasiment sûr qu’il accepterait, surtout avec le ton naïf qu’il venait d’employer, qui était très souvent déstabilisant.


Non.


Ah, il semblait que la méthode magique ne marche pas avec Jenstel. Mais peut-être qu’en persévérant un peu plus…


Tu es dans quel cursus ?
Expert en coopération magique internationale.
C’est ouf ! Moi aussi !
Waaaahhhh passionnant.
Tu es sûr que tu veux rien boire ?
Allons-y.


Yes !