Un air de mauvais jazz. Taylor fixait les glaçons qu’il faisait tourner au fond de son verre de whiskey. L’œil vide, avide. Personne ne semblait lui prêter attention. Chaussures vernies en pointe, pantalon droit noir, chemise blanche et bretelles. Il sifflait lentement son alcool, écoutant le bruit des glaçons, ne faisant attention à rien d’autre autour de lui. On avait beau l’aborder (« t’as du feu ? », « tu danses ? », « t’es nouveau dans l’coin ? »), il restait stoïque, énigmatique. On dansait ici, on s’embrassait dans un coin, on buvait partout. Tout le monde essayait d’oublier la guerre. Pas Taylor. Il s’en fout catégoriquement de la guerre. Tant que celle-ci ne l’impliquait pas ou n’impliquait pas Agathe. Il était juste venu boire et voir les glaçons tourner. Un nouveau morceau. Encore mauvais. Taylor se leva. Des yeux se braquèrent sur lui et un sourire malin se dessina sur ses lèvres. Il aimait qu’on le regarde. En quelque sorte, il aimait être le centre d’intérêt principale, et si il ne l’était pas, il s’arrangeait pour l’être. Il s’avança de la sono, son verre à la main. Un pas. Deux. Trois. Il vida ce qui restait de son verre sur la chaîne stéréo. Un bruit bizarre, de la fumée. Elle était pétée. Les clients, complètement jetés pour le plupart, commençaient à gueuler. Certains regardaient Taylor bizarrement, se demandant à qui ils avaient affaire. Il avait toujours ce sourire malin, presque provocateur et cet œil noir qui dégageait quelque chose de mystérieux. Il défiait quiconque de ramener sa gueule, presque naturellement.

T : Vraiment pourri votre son. Et puis, je vis que pour Otis Redding. I'm the man on the scene. Vous voyez ?

Et il s’avança vers une jeune fille d’environ dix-sept ans, son âge. Il ne la lâchait pas des yeux, plus moyen de s’enfuir, elle était ciblée. Du moins, pas elle dans son ensemble. Plutôt son verre. Il lui prit des mains, la fixant toujours du regard, et s’enfila d’un trait ce qu’il contenait. Rhum & coca cola. A sisters. Un nouveau sourire. Et il se tira. C’était Taylor, dix-sept ans. Une étrangeté inquiétante qui reposait sur un regard mystérieux. Même en restant immobile à ne rien faire, il dégageait quelque chose de spéciale, d’ambiguë. L’ambiguïté est d’ailleurs le mot qui pourrait le mieux décrire Taylor. Tout chez lui est flou. On croit le connaître, mais c’est un tout autre personnage qui s’offre à vous le lendemain. Il marchait dans la rue, faisant tourner entre ses lèvres une cigarette qu’il n’allumerait pas. Mains dans les poches, il se contentait d’avancer jusqu’à ce qu’on l’appela par un « hey toi » venant derrière lui. Voix féminine. Taylor savait qu’il n’aurait pas dû la regarder plus de trois secondes. Il allait devoir se la coltiner. Il s’arrêta mais ne se retourna pas.

T : Tu veux ?
F : J’aimerai qu’on aille boire un verre, chez moi.
T : Ah. M’intéresse pas.

Froid. Comme à son habitude. Après avoir fait des ravages, il devait s’arranger pour les réparer. Mais il n’avait aucun tact, il disait ce qu’il pensait franchement. Cette fille l’intéressait car elle avait un verre plein. Elle n’avait aucun autre attrait. D’ailleurs, presque aucune fille ne l’intéressait. Elles peuvent être belles, elles ne restent que des machines à larmes. Il ne pouvait s’enticher de quelqu’un, perdre son indépendance pour finir dans les bras de quelqu’un qui veut vous entendre lui dire des je t’aime à longueur de journée, même si on le pense pas vraiment. Aimer n’est pas le fort de Taylor. Séduire est son fort. Il ne se sert des filles que par intérêt, car il sait parfaitement qu’il plaît et qu’il peut jouer de cela sans pour autant finir par être un salopard.

F : Gros con de sorcier ! Je suis pas conne, j’ai su direct que t’étais bizarre.

Il se retourna.

T : Agathe !! J'ai cru que c'était l'autre ...
A : La blonde ? 90D ? Bouche en cœur ? Non, je l'ai déjà fait fuir après sa charmante proposition.

Sourires. Agathe (Crazy Nuts) était sa jumelle. Littéralement et génétiquement. Elle est carrément dérangée. Siphonnée. Mais Captain Taylor n'est rien sans Crazy Nuts ; c'est comme les tentacules d'un poulpe. Essayer de les lui retirer, il va chier de l'encre. L'un ne va pas sans l'autre. Alors imaginer six ans, loin l'un de l'autre. Létal. Et on met le doigt sur la raison du conflit entre Taylor et ses parents. Captain et Crazy Nuts avaient cinq ans : divorce familiale, et le père entraine le fils au Pérou tandis que la mère emmène sa fille chez les yaks tibétains. La rupture de ses parents lui a privé de six ans de sa vie. Six ans d'Agathe.

Un groupe de moldus passèrent de l'autre côté de la rue. Guerre. Agathe. Éloignement. Il ne voulait plus être loin d'Agathe. Depuis qu'ils ont du quitter Poudlard en cinquième année, il y a deux ans, ils sont restaient plus ou moins ensemble. Ils n'ont pas vraiment eu de moment à eux et Taylor voulait y remédier.

T : Agathe, les vieux sont je ne sais pas où sur la planète et nous on reste là à Londres à rien faire. Je veux aller à Poudlard, c'est devenu un genre de refuge. On y sera bien là haut.
A : On part quand ?