Il se souvenait du crissement de la neige sous ses belles Doc Marteens flambants neuves, du soleil qui rendait la neige aveuglante quand les nuages s’écartaient pour laisser passer les rayons, et de la petite voix hautaine qui résonnait bien souvent derrière lui...

« Matty, j’ai mal aux pieds… »
« Je sais, moi aussi. Mais on doit continuer. »
« Mais j’ai les orteils gelés ! »
« Estime toi heureux d’avoir des chaussures et avance, Karl. »
La petite teigne blonde soupira et Matheson aussi. Karl, son petit frère de 11ans, était une forte tête d’habitude, mais depuis le drame il semblait démoralisé. Leur père les avait fait partir tous les deux en hâte à l’aube avec seulement une valise chacun contenant quelques affaires, en leur disant d’aller se réfugier à la taverne de Ted pour un moment. Il avait bien précisé de sa voix grave des jours importants « et surtout, pas de magie ! ». Et cela préoccupait beaucoup Matt. Matt était du genre pragmatique, il aimait bien contrôler les choses, mais il n'avait pas assez de réponses pour être en mesure de se sentir confiant. Pourquoi cette fuite ? Et pourquoi « pas de magie » ? A présent, son esprit s’échauffait. C’était pour ça qu’il ne s’était rendu compte du méfait qu’une fois l’incantation prononcée.
« Non, Karl ! Papa a dit non pour les sorts, tu n’en fais vraiment qu’à ta tête ! »
Il le regardait, penaud, mais satisfait d'avoir les pieds secs. Le petit avait voulu réchauffer ses chaussettes et avait utilisé une incantation mineure, mais le mal était fait. Inquiet, Matt l’attrapa par la main et le força à avancer plus vite. C’est à ce moment là qu’une explosion retentit. Il crut d'abord que c'était à cause de Karl, mais il en était autrement. Leur demeure, à bien deux kilomètres dans leur dos, était à présent en feu. Sans réfléchir, Matt poussa Karl au couvert des arbres couverts de givres, lui intima de ne pas bouger jusqu'à son retour et transplana, laissant son frère seul et hébété dans la neige. Il arriva dans la cour. Son père et sa mère y étaient aussi, l’un fier dont le regard assassin transperçait la vingtaine d’hommes qui les encerclaient fusils aux poings, l’autre pleurant dans ses bras.
« Vermines ! Eclata la voix vibrante de dégoût de son père. Vous trahissez votre pays. Qu'avons nous fait pour que vous nous traitiez de la sorte ? Rien, jamais, nous vous avons laissé en paix. Et vous faîtes la chasse aux sorcières comme vos stupides aïeuls ? »
« Vous êtes le diable, vous autres ! » Osa cracher un homme replet.
« Mais réveillez vous, nous ne sommes plus au Moyen-âge ! En tuant des innocents, vous trahissez votre Dieu et vous mettez au même rang que celui que vous dénoncez : Satan lui même ! » Répliqua le paternel d’une voix forte.
« F-faux, nous agissons dans l’intérêt de… De l’humanité toute entière ! » Lança un autre d’une voix tremblante.
« En exterminant vos semblables? Non, personne ne cautionnerait ça, pas même Dieu. »
« C’est le Père qui nous l’a dit, alors retournez vous, qu’on en finisse ! » Aboya le premier homme.
« NON ! STUPEFIX ! STUPEFIIIX ! »
C’était la voix de Matt qui venait de retentir, tandis qu’il s’élançait au devant de ces hommes. Ces couards se trouvèrent démunis un instant par son intervention ; pourtant, même si certains fuyaient ou tombaient déjà sous des sorts, d’autres se relevaient, et ils finirent par se ressaisir et tirer. Une pluie de coup de feux et de crépitements rouges envahis l’espace, et il vit sa mère tomber sur le sol, son père la protégeant toujours de ses bras. C’était trop tard, car elle ne cria même pas. C’est à l’issue de ce combat inégal que ses parents furent tués, son père désarmé, sa mère sacrifiée : la même balle ayant traversé les deux corps, désormais sans vie. Les yeux pleins de larmes, il avait mis toute son âme dans cette bataille désormais n’ayant d’autre motif que la vengeance puis après les avoir regardés une dernière fois, avait de nouveau transplané jusqu’à Karl. Mais ce n’était pas seulement lui qu’il avait trouvé en arrivant : mais aussi quatre des types qui s’étaient enfuis un peu plus tôt. Ils lui tournaient le dos et parlaient entre eux, fixant quelque chose sur le sol, à leurs pieds : son petit Karl. Le regard de Matt se troubla, et une vague de rage déferla en lui. D’autres mots cette fois sortirent de sa bouche : froids, cruels, sans pitié.
« AVADA KEDAVRA ! »
Cette fois, ils ne se relevaient plus. Il stupéfixia le dernier puis s’approcha d’un pas lent de son corps immobile sur le sol, à côté de celui de Karl. Le fixant d’un air mauvais, il fit tournoyer sa baguette au dessus de lui, et susurra d’une voix sans vie :
« Endoloris. »
Pendant un long moment, il se délecta des hurlements. Ils lui faisaient oublier sa souffrance. Ce n’est que quand l’homme finit par mourir des suites de sa douleur que le silence retomba et qu’il se rendit enfin compte : il était seul. Tout seul. Tout ça en l’espace de quelques heures. Son regard se posa sur Karl : le torse ensanglanté, sa baguette serrée entre ses petits doigts, il n’aurait même pas eu le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait. C’était sa seule consolation. Détruit, sans même réfléchir, il s’était transformé en loup, et avait hurlé à la mort. Longtemps. Il s’était ensuite blotti contre le cadavre encore chaud de son frère, pour le lendemain reprendre son périple avec une seule idée en tête : être de ceux qui feraient payer ces êtres indignes.