" Au moins, moi il aura fallut une intervention extérieur, alors que toi et moi savons tout deux qu'avec un coup de Cognard ou pas dans ta tronche, la différence serait invisible tant la nature ne t'as pas gâtée, ma belle ! "
Et un point pour Dana. Mary Jane mit ses mains sur les hanches, affichant une mine faussement outragée. Moche, elle ? Non mais oh ; elle était magnifique, tout le monde le savait. Taille de guêpe, yeux lumineux et cheveux soyeux, elle avait un physique de rêve, de déesse même. Ne l’avait-il pas remarqué ? Si, évidemment que si ; elle ne passait pas inaperçu, je vous assure, tout le monde connaissait la magnifique Mary Jane Cromwell. C’était la perfection incarnée. Ironie quand tu nous tiens… Et puis, même si elle avait été moche, elle ne s’en serait pas souciée : pourquoi faire ? La beauté est volatile, elle s’efface avec les années. Mary Jane avait vu des photos de son arrière-grand-mère alors que cette dernière n’avait pas vingt ans : une femme magnifique, à en faire pleurer de jalousie. Et qu’était-elle devenue ? Une vieille dame ridée, au visage marqué par son mauvais caractère. Oui, c’est très bien d’avoir un beau corps, mais ce n’est pas une raison d’être fière : qu’a-t-on fait pour le mériter ? Non, elle se fichait d’être belle ou pas, puisque cela ne durerait qu’une trentaine d’années, avec de la chance. Dana pouvait dire ce qu’il voulait, elle ne s’en offusquerait pas. De toute façon, elle savait très bien que le businessman devant elle était follement amoureux d’elle et n’attendait que ses dix-sept ans pour l’épouser. Hahah, rêve Cromwell, rêve. L’idée d’un Dana marié lui semblait tout à fait impossible. Quelle genre de femme – ou homme, soyons ouvert – accepterait-elle de passer sa vie aux côtés d’un tel être ? Une folle, très certainement. Ou alors une masochiste. Peut-être un mélange des deux. Hum, éventuellement pouvait-on trouver ça dans les petites annonces ? « Femme cherche mari froid, distant, violent et désagréable. Calme, bonne ménagère, sait coudre et faire la cuisine. Prête à supporter tous les caprices. » Ça ne devait pas courir les rues, ce genre de sainte. Et quand bien même on trouvait un ange pareil, Van Uta en voudrait-il ? Sûrement pas ; il lui semblait être un célibataire endurci. Difficile de l’imaginer une fille au bras ; ou alors c’était que la fille en question l’avait énervé et qu’il ne comptait pas la laisser s’en tirer comme ça.
Enfin, tout ça pour dire que Mary Jane décocha un sourire radieux à l’intention du jeune asiatique, qui l’ignora. Hum, où était passée la galanterie précédente ? Aux oubliettes, apparemment. Distraitement, elle retira une grande écharde de ses cheveux, où elle s’était emmêlée, et la jeta au sol.

Elle ne fit pas grandement attention à la réaction de Dana lorsqu’elle lui répara le bras. Gamine ? Elle était une gamine ? La jeune fille fit une moue boudeuse, puis réfléchit un instant. Divers images lui passèrent dans la tête : elle jouant à la marelle explosive avec Prue, faisant le cochon-pendu dans le vieux chêne, parlant à Jim tandis qu’elle se brossait les cheveux ou encore tirant la langue à Dieu-sait-qui. Et tout cela dans la même année, celle-ci. Oui, à seize ans, il lui arrivait encore très fréquemment de se comporter comme une gamine. Dana avait raison. Mais tout de même, elle n’était pas tellement plus jeune que lui… Non ? D’ailleurs, quel âge avait-il ? Aucune idée. A franchement parler, elle ne savait pratiquement rien sur l’asiatique qui s’était approché de la fenêtre sans plus rien ajouter. Ce n’était pas comme s’ils étaient tout deux très bavards sur leurs vies, et sans doute avaient-ils de bonnes raisons de demeurer aussi silencieux. Elle le contempla un instant, mordillant sa lèvre inférieure. Finalement, elle haussa les épaules, peu concernée par l’indifférence du jeune homme. Un Dana content et reconnaissant, ce n’était pas le vrai Dana. Ce n’était pas comme si elle s’était attendue à un ‘merci’, non ; c’aurait été trop demander. Alors elle s’approcha également de la fenêtre, s’y accoudant sans un mot. Elle arriva juste à temps pour voir l’homme à balais recevoir les deux Cognards sur son corps, et elle ne put s’empêcher de sourire. Vu d’ici, c’était comique. Bien sûr, ce l’était beaucoup moins pour l’homme concerné, mais Mary Jane ne s’en formalisait pas pour l’instant. Si, plus tard, elle découvrait qu’il s’agissait de l’un de ses amis, alors elle s’inquiéterait pour lui. Mais ce n’était pas le cas pour l’instant, et elle préférait assister au spectacle.

Mary Jane resta un long moment silencieuse au côté du jeune asiatique. Au travers de la fenêtre brisée, le vent froid de l’hiver soufflait dans ses cheveux de façon à ce qu’ils balayent doucement ses épaules comme des ailes de corbeaux. Malgré la température qui la faisait frissonner à chaque fois qu’une bourrasque plus forte que les autres venait lui caresser le visage, un grand soleil illuminait ce qui promettait d’être une belle journée. Les yeux de Mary Jane glissait sur le bleu glacé du ciel, se posait un instant sur les sommets enneigés de la Forêt Interdite avant d’être attirés par l’herbe givrée du parc – où elle aperçut brièvement l’homme évanoui que l’on tirait sous un arbre – et la surface congelée du lac, déjà appropriée par quelques aventureux adolescents et leurs patins. Elle-même démangeait d’envie d’aller faire un tour dessus, mais pas maintenant. Elle préférait attendre d’être seule sur la glace, pour avoir toute la liberté de sentir la surface lisse sous les lames de ses patins, pouvoir profiter pleinement de la vitesse et la grâce qui s’offrait soudainement à elle. C’était toujours un moment si beau, si émouvant qu’elle sentit sa gorge se serrer à l’avance. Lorsqu’elle faisait le premier pas sur la glace, elle avait l’impression que le monde se figeait autour d’elle, comme si l’hiver avait arrêté le temps l’espace d’une seconde, pour lui permettre de mesurer pleinement la beauté du monde qui l’entourait. Pendant ce bref instant, il lui semblait qu’elle voyait chaque détail, chaque goutte congelée sur le moindre brin d’herbe, chaque aiguille de glace qui pendait des branches des sapins avoisinants. Et alors, elle inspirait le grand air frais de la nature hibernante, formant un nuage de condensation lorsqu’elle expirait, avant de se lancer sur la glace.
Toute à sa rêverie, la jeune fille n’avait qu’à moitié entendu la question de Dana. Elle haussa les épaules, désinvolte. Qu’importait le lever des habitants du château ? Les quelques heures entre l’aube et maintenant étaient les plus belles, justement parce qu’il n’y avait personne d’autre. Si elle n’avait pas hérité de l’insomnie de sa mère, elle partageait le même amour pour les extrêmes de la journée, c’est-à-dire l’aurore et le crépuscule. La naissance et la mort d’une journée, les moments les plus émouvants. Dire que la majorité des humains n’assistaient qu’à son décès, quel tristesse. Peu étonnant qu’ils soient aussi abattus et sans espoir. N’avaient-ils donc jamais entendu le fameux proverbe : « l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » ? Mary Jane gardait dans sa tête l’intime conviction que la guerre se terminerait à l’aube. C’était ridicule et très peu probable, cependant elle ne pouvait s’empêcher de penser ainsi. Elle ne se tourna pas vers le jeune homme lorsqu’elle ouvrit la bouche pour lui répondre.

« Hum, sachant que je me suis levée il y a deux heures, je dirais dix heures environ. Même les plus paresseux commencent à se réveiller. »

Un léger ‘hum’ de la part de Dana. Mary Jane se tourna vers lui, l’expression curieuse. Son instinct lui disait qu’il n’accaparait pas son attention pour lui lancer une nouvelle vanne ce qui lui parut étrange. A force de tenir ce genre de combat verbal avec lui à longueur de journée, elle avait l’habitude de se préparer à lui renvoyer la balle instantanément. Mais là, c’était différent.

« Oui ? »

Dana était immobile, face à elle, la tête penchée comme un enfant inquisiteur devant un nouveau jouet. La louve ne dit plus rien, le fixant d’un air calme, serein. Ridiculement, elle se sentait parfaitement en sécurité à cet instant. Ironique, n’est-ce pas, que lorsqu’elle se trouvait dans une salle détruite avec un homme pourtant peu connu pour son pacifisme, elle ne se sente pas menacée. Enfin, avec Mary Jane, on devait s’attendre à tout – c’était un pour sur lequel tous étaient d’accord. On pouvait en dire de même pour Dana, d’ailleurs – imprévisible. En effet, il venait de glisser sa main dans les longs cheveux de la Veela, aussi doucement que la brise qui les chatouillait quelques secondes auparavant. Prise par surprise, Mary Jane se sentit rougir – très légèrement, presque imperceptiblement, mais ses joues prirent une teinte un peu plus rosée – totalement prise au dépourvue par cette action. Un instant figée, de grands yeux levés vers le visage de Dana, elle ouvrit la bouche pour parler. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de formuler la première syllabe, l’asiatique lui envoya un bout de plâtre sur le front, suivi d’un mince sourire. Mary Jane fit une légère grimace, retroussant son nez comme un chaton dont on a chatouillé le museau avec une plume, puis sourit également. Elle passa sa main sur son front pour vérifier que le bout de plâtre n’y était pas collé, avant de se tourner à nouveau vers la fenêtre.

« Le battement d’ailes d’un papillon déclenche une tornade à l’autre bout du monde… » dit-elle à personne en particulier, se souvenant simplement de cette phrase qu’on lui avait sorti un jour. Quelque chose à propos de la théorie du chaos, à ce qu’elle se souvienne. D’après ce qu’on lui avait dit, l’idée que s’en faisait la majorité des gens était totalement fausse : le papillon ne provoquait pas directement la tornade, mais simplement un autre événement qui lui-même était responsable d’un autre, et celui-ci était également la raison d’un autre résultat, etc. Ce système continuait ainsi jusqu’à ce qu’au final, la tempête se crée. Et en vérité, c’était exactement ce qui venait de se passer : Mary Jane était rentrée dans la salle abandonnée pour que finalement, après diverses péripéties, Dana ait envoyé les deux Cognards qui les menaçaient dans le parc où ils avaient continué de semer un chaos monstrueux. Si bien qu’indirectement, elle se retrouvait responsable de l’homme inconscient étendu dans l’herbe, et de toutes les autres victimes de ces deux balles sanglantes. Oui, elle était tel l’innocent papillon, l’une des infinies créatures responsables de l’ouragan déclenché devant ses yeux. Peut-être devrait-elle être désolée, sentir le remords l’envahir et s’excuser, mais pour l’instant le papillon demeurait immobile, comme figé dans une toile d’araignée invisible.

HJ: J'suis désolée c'est court, c'est nul mais j'savais plus trop quoi ajouter x)

« On ne sait jamais rien à moins d’essayer. »

Elizabeth sourit au mur, se rappelant cette phrase qu’elle avait tant de fois entendue – généralement au moment de préparer le repas. C’était sans doute l’expression favorite de sa mère, à l’exception de son « L’humanité est pourrie jusqu’à la moelle », qu’elle adressait souvent au poste de radio. Elizabeth et Mary Jane Cromwell n’étaient pas connues pour leur foi en l’être humain, car elles n’en voyaient que rarement les bons côtés. Voilà, au fond, ce qui les rendait si sauvages : à force de voir les hommes se mutiler, s’assassiner dans une boucherie sanglante et interminable, elles ne les laissaient s’approcher qu’avec méfiance. Hommes, femmes, enfants – tous étaient capables du pire, en vérité. L’innocence n’était que l’ignorance, en fin de compte. Ignorer ce qui est bien ou ce qui est mal, c’est ne faire aucune différence entre les deux, et donc commettre des actions atroces sans se rendre compte de leur étendue. Ce qui est sans doute pire, c’est d’en avoir conscience et d’agir tout de même. Peut-être était-ce pourquoi les ignorants-innocents étaient pardonnables, contrairement à ceux qui agissaient en sachant faire le mal. Peut-être était-ce pour cela que Mary Jane avait rejoint les Veela, et non les Basilisk – elle n’aimait pas faire le mal. Jouer, vivre des aventures, affronter la mort, donner la mort également, elle n’y voyait aucun problème. Simplement, pourquoi choisir la magie noire lorsque la magie blanche suffisait amplement ? La première n’était à utiliser qu’en dernier recours, selon la Cromwell. Si le monde se départageait en deux types de sorciers – les sorciers blancs contre les sorciers noirs – alors elle faisait partie des sorciers gris. Ceux qui, pour atteindre leur but, n’hésiteraient pas à toucher aux arts sombres.
La louve n’était pas sûre d’avoir bien compris ce que lui demandait Dana. Elle avait l’impression qu’il lui proposait une alliance de quelque sorte, mais c’était peut-être son imagination. Dans tous les cas, elle ne s’engagerait pas avant d’en savoir plus. Elle n’était pas stupide, non plus.
Se tournant vers la fenêtre, elle aperçut un enfant qui cueillait des pommes dans le parc. Le reflet du soleil sur ces orbes flamboyantes sur le sol givré suffit à lui donner faim.

« Accio Pomme. » fit-elle très simplement, pointant sa baguette de bouleau sur le jeune garçon, qui ouvrit grand la bouche lorsqu’il vit sa collation s’envoler du panier où elle se trouvait. De toute évidence, il dut pousser un cri, car la jeune fille à ses côtés se retourna, juste à temps pour voir la boule rouge atteindre la hauteur d’une fenêtre. Enfin, à cette distance, elle ne pouvait distinguer qu’un grain rouge qui disparut soudain, comme happé par un être invisible. Cet être – très loin d’être invisible – rentra sa petite main blanche à l’intérieur, tenant son trophée précieusement entre ses doigts. Elle eut un léger rire, un rire de diablotine qui, emporté par le vent, vint résonner dans les oreilles des promeneurs du parc.

Mary Jane s’était avancée jusqu’à se trouver devant l’asiatique qui, lui s’était déplacé sur une table. Il n’était pas rappeler un chat, pensa-t-elle à cet instant. Oui, un félin – pas un chat de gouttière, plutôt un couguar, une panthère. Une panthère noire, c’était cela. Enfin, noire – la panthère noire ne l’a jamais véritablement été, puisque son pelage comporte des taches plus ou moins foncées, presque invisibles – mais cela ne détruisait en rien sa beauté. La panthère était un bel animal, après tout : beaucoup plus qu’un simple matou ronronnant, un vulgaire – bien qu’adorable – chat apprivoisé qui passait sa journée à dormir sur le canapé. Elle était belle, silencieuse, élégante mais incroyablement puissante elle n’était pas sans rappeler une énorme machine, une mécanique silencieuse mais irréductible. Cela lui semblait assez convenable comme représentation – plus fidèle qu’un cocker, dans tout les cas. Allez savoir pourquoi, mais Mary Jane avait toujours associé des caractéristiques animales à son entourage. Cela lui permettait de les analyser et de saisir leur personnalité à sa guise. Peut-être était-ce également une façon de voir la bête en chaque être humain. C’était sans doute cela : si sa bête à elle était davantage libre que celle des humains, elle lui semblait moins monstrueuse sous son apparence velue. Malgré ses griffes et ses crocs, la Mary Jane des pleines lunes ne ferait pas de mal, contrairement à certains humains. Dana, par exemple, était sans doute plus dangereux qu’elle. La panthère surpasserait la louve ? Qui sait ; cela restait encore à découvrir. Tout ce que l’on pouvait savoir pour l’instant, c’était que la première travaillait pour son compte, tandis que la deuxième – et bien, la deuxième se laissait embaucher par ceux qui lui plaisaient.

« Mais si on ignore l’arsenal de ton adversaire, on peut au moins faire le compte du sien. »

Et elle mordit dans sa pomme.