En pleine nuit [Sonny]

&&

Encore une fois, cette nuit là, Ivy n’avait pas réussit à fermer l’œil. Enfin, elle s’était bien assoupie quelques heures, mais l’habituel cauchemar avait suffit à faire disparaître toute trace de sommeil. Chaque maudite nuit, depuis la mort de son père, elle faisait des rêves horribles, où s’entremêlaient souffrance, sang, désespoir. Depuis quelques temps, les rêves s’étaient estompés pour laisser place à un grand vide, ce qui était, selon Ivy, bien pire. Avec les rêves douloureux, elle réussissait à extraire sa douleur. Maintenant qu’elle n’arrivait plus à extérioriser ses sentiments, elle se refoulait dans ses émotions, dans son deuil. Elle ne voyait plus d’horreur dans ses rêves, elle ne voyait que le visage de son père. Serein, souriant, doux. Il n’avait pas changé, il avait toujours ses petites rides aux coins des yeux, sa canine un peu croche qui rendait son sourire légèrement imparfait, cette petite rosette de cheveux qui lui donnait un air enfantin… C’était si bon de revoir son visage, de le sentir aussi près.

Puis, en sursaut, Ivy se réveillait toujours. La débandade. Son père était mort, enterré depuis de nombreux mois maintenant. Seulement, dans ses rêves, il semblait si réel… La douleur ressentie au réveil n’en était que plus vive. Et dans ces moments de douleur à l’état pur, elle se sentait tellement perdue… Elle aurait aimé pouvoir compter sur quelqu’un, mais elle n’avait personne. Enfin, elle avait bien Angélique, mais celle-ci ne pouvait pas comprendre l’horreur qu’était de perdre son complice, son père, son protecteur. Elle préférait ne pas l’embêter avec cela. Elle avait de nombreux amis qui auraient été ravis de l’aider dans son deuil, mais encore là, elle ne voulait pas déranger. Alors, dans ces moments, elle sortait. Elle fuyait son lit, son repère, déambulait dans les couloirs, tentait de se changer les idées.

Cependant, celle nuit là, elle se sentait lasse. Elle voulut même tenter de se rendormir, mais dès qu’elle ferma les paupières, l’image de son père lui revint en tête. Impossible de se rendormir, étouffée par la douleur. La jeune femme se leva donc, passa un peignoir sur sa robe de nuit, et attrapa une boîte qu’elle cachait sous son lit. Elle descendit dans la salle commune des membres de son clan et choisit un énorme fauteuil moelleux. C’était un peu son fauteuil à elle, elle se l’était appropriée dès la formation des clans et on aurait dit que les autres membres des unicorns respectaient cela.

Lorsqu’elle fut bien installée, elle ouvrit la boîte dans laquelle elle fourrait la plupart de ses souvenirs. Particulièrement ceux qui la rattachaient à son père. Ce dernier avait été, durant les dernières années de sa vie, un militant, qui aidait les moldus à se défendre contre les sorciers malfaisants. Il avait, avec quelques amis qui partageaient la même vision d’esprit que lui, créé un journal clandestin qui informait les sorciers du bon côté des tragédies courantes. Il avait fait expédier des copies de ce journal à sa fille, et elle avait gardé quelques articles qui l’avaient profondément touchée. L’un d’entre eux parlait de la mort tragique d’un petit bambin, Evan Hanson. Elle connaissait l’article par cœur, à force de l’avoir relu de nombreuses fois. Mais en le relisant, elle fut aussi émue que la première fois. Elle ne pouvait tout simplement pas concevoir qu’un jeune innocent puisse ainsi perdre la vie pour une guerre qui n’était pas sienne. Injuste.

Elle lut quelques autres articles, ce qui n’aidait en rien son humeur. Mais au moins, même si elle était toujours aussi triste qu’à son réveil, elle ne pensait plus à son père. Décidant toutefois plus sage de ne pas exagérer dans ses lectures moroses, Ivy alla ranger sa boîte à sa place et sortit de son repère. Elle était toujours vêtue de sa robe de nuit, nue pieds. Elle se mit à déambuler dans les couloirs, sans but précis, comme de nombreuses fois. Après tout, qui pourrait-elle croiser à cette heure si matinale? Il était dans les environs de trois heures du matin, à la limite elle ne ferait que croiser un chat ou un rat…

Alors que ces pensées traversaient son esprit, Ivy se heurta à quelque chose, et tomba à la renverse. Elle crut d’abord que cette chose fut un mur, mais elle connaissant par cœur cette aile-ci du château, c’était donc improbable. Et cette chose, bien que ferme, lui avait semblée trop molle pour être un mur. Elle leva un regard hésitant et fut surprise de voir un homme. Il lui semblait être très grand –peut-être n’était-ce que le fruit de son imagination, parce qu’elle se trouvait par terre et lui debout–, et son visage lui était inconnu. Ivy s’aperçut que quelques affaires traînaient sur le sol, des papiers. Probablement qu’ils appartenaient à cet homme et que le choc les avaient fait tomber.

« Vraiment désolée. » Sa voix, encore endormie, lui paraissait plus grave, plus rauque.

La jeune femme se mit à ramasser les quelques papiers qui jonchaient le sol, et une photographie attira son attention. Quelle coïncidence! Il s’agissait de la photo reliée à l’article concernant le petit Evan Hanson. Ivy retourna la photo, et vit à l’arrière, d’une écriture suave, « Evan, six ans ». L’ancienne Serdaigle leva un regard anxieux vers l’homme qu’elle avait heurté. Elle lui tendit les papiers de la main droite, mais garda la photo d’Evan dans celle de gauche. Elle était troublée par cette petite découverte, et n’osait rien dire pour le moment.