Tout le monde a joué à chat un jour. En général, c’est durant l’enfance, dans une cour d’école ou un jardin, avec des amis. C’est la récréation, il fait beau, on a une belle heure de libre avant de retourner au supplice des cours et, pour s’amuser, on joue à s’attraper en criant « C’est toi le Chat ! » Sans oublier qu’il y a de multiples variantes : Chat ballon, Chat bougie, Chat perché, Chat statue, Chat soleil, pour n’en citer que quelques unes. Tout le monde à sa version favorite, mais la version originale reste inébranlable. C’est le jeu des petits par excellence, avant même cache-cache ou un deux trois soleil. Une activité toute simple où l’on se cache, se court après pour s’attraper et inverser les rôles. Epuisant, grisant, hilarant et inoubliable. Un pur moment de bonheur entre amis. Ces amis peuvent être Sang-Purs, Sang-Mêlés, Moldus ou Cracmols, qu’importe. Ce n’est pas comme si la nature importait, lorsqu’on joue à Chat. Chat, c’est universel, tout le monde connait. Un jeu tout à fait banal, en somme.
Ce qui était nettement moins banal, c’était la version de Mary Jane et Prudence.
Pourquoi ? Et bien, tout d’abord parce que si les deux adolescentes étaient bien dans un parc, il faisait déjà sombre. Ce n’était non pas le début de l’après-midi mais bien le soir, quelques minutes avant que la nuit ne tombe complètement. Le ciel était à mi-chemin entre le bleu et le noir et, bien que le soleil ait disparu depuis longtemps, la lune ne s’était pas encore montrée. Dans l’ombre de l’immense château, Mary Jane, avec cette allure prudente qui rappelait celle les Indiens d’Amérique, se déplaçait dans les terres de Poudlard, visiblement aux aguets. Elle n’était pas sans rappeler une bête traquée, les muscles tendus, prête à courir au moindre signe de danger. Pas à pas, elle s’avançait du bosquet où – bien qu’elle l’ignore – s’était tapie sa meilleure amie. Elle se sentait observée, mais cela lui semblait normal : Prue était évidemment dans les parages. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne la trouve. Tout à coup, une branche craqua. Mary Jane eut un sursaut, et se retourna – tournant le dos à celle qui la chassait. Elle sentit quelque chose foncer sur elle et n’eut que le temps de contracter ses muscles avant qu’une bête enragée ne lui tombe dessus. Et voilà, Prue avait encore gagnée. Mary Jane sentit les crocs de son amie contre sa peau, mais ne paniqua pas, bien trop habituée au comportement de son amie pour cela. Et en effet, Prue ne la mordit pas, mais sauta à terre, lui criant sa victoire. Oui oui, c’est moi le chat. Et je t’aurais Prue, je t’aurais ! Voilà ce que disait le sourire de Mary Jane alors qu’on lui tirait la langue. Bon, donnons quelques secondes à la vampire avant de lui courir après, se dit-elle.
Soudain, la lune apparut. Une lune pleine et ronde, brillante comme une goutte de lait. Mary Jane leva la tête, et sentit une boule gonfler dans sa poitrine. Elle se sentait tellement… vivante. Le simple rayon de lune qui vint lui caresser le visage suffit à la faire sourire de bonheur.

Alors qu’elle s’apprêtait à partir à la recherche Prue, l’adolescente sentit des picotements l’envahir. Oh, ça y était, la transformation commençait. Les fourmillements, qui avaient commencé le long de sa colonne vertébrale se propagèrent rapidement tout le long de son corps, comme si une multitude de petit poils cherchaient à transpercer sa peau simultanément. C’était ce qui lui arrivait, après tout. Rapidement, Mary Jane retira ses vêtements, juste à temps pour sentir les muscles de son corps se gonfler et ses os se tordre, alors que la douleur la força à se mettre à quatre pattes. Elle eut un bref moment de panique, se demandant si elle avait bien pris sa potion Tue-loup la semaine précédente. Mais oui, à moins qu’elle ne se fasse des illusions. A travers ses yeux soudainement nyctalopes, elle vit ses mains devenir d’énormes pattes de loup pourvues d’effrayantes griffes. Même à quatre pattes, elle était désormais légérement plus grande qu’un poney, et une épaisse fourrure noire – tout comme l’étaient ses cheveux – recouvrait son corps de louve. Seuls ses yeux permettaient de comprendre qu’il s’agissait bien de Mary Jane, ses beaux yeux gris clairs, teintés de bleus. Mis à part cela, elle ressemblait désormais à un énorme animal, dont la gueule sauvage se levait vers la lune bienveillante. La créature eut ce qu’on aurait pu appeler un sourire, révélant ses crocs – bien plus grands que ceux de Prue – et sa langue sortir de sa bouche, tandis que reniflait, cherchant l’odeur bien connue de son amie. Et pourtant, quelques différences subsistaient entre la loup-garou et une louve ordinaire. La taille, évidemment, mais aussi la forme du corps, qui continuait de rappeler celui d’un humain. Mary Jane pouvait toujours se mettre sur deux pattes, même si cela la gênerait quelque peu pour courir, et la forme de ses pattes avant lui permettait encore de saisir des objets – ou des humains, allez savoir. Mais pour l’instant, elle continuait de renifler, cherchant la trace de sa camarade. La partie de Chat continuait. Et brusquement, Mary Jane poussa un hurlement de triomphe, avant de s’élancer à la poursuite de sa meilleure amie qui s’était d’ores et déjà enfuie, ses pattes puissantes laissant de profondes marques dans la terre. Il y en aurait qui seraient surpris, demain.

Silencieusement, le cabot traquait la chauve-souris. Tout en courant, la bête songeait à sa relation avec la jeune Prue. Ce n’était pas seulement qu’elles étaient meilleures amies ; elles étaient également ce que les gens ‘normaux’- allez savoir ce qui définissait la norme – qualifiaient de ‘monstres’. L’une semi-vampire, l’autre loup-garou : reniées, forcées de cacher leur véritable nature par peur. Pas leur peur, non : celles des autres. On avait peur d’elles, de deux jeunes filles tout à fait inoffensives – ahem – simplement parce qu’elles étaient différentes. C’était cela qui les unissait, ce lien unique : elles contre le monde. Une amitié entre deux monstres si semblables. A ce que Mary Jane se souvienne, les Moldus étaient convaincus que les loups-garous et les vampires se haïssaient. Dans tout les livres qu’elle ait jamais lu sur le sujet – passant des romans d’aventures aux contes – c’était un point sur lesquels ils semblaient s’être mis d’accord : les deux espèces étaient incapables de s’entendre. Qu’il s’agisse d’une haine instinctive, de trahisons ou de guerres millénaires, le résultat était le même : tout non-sorcier voyait l’amitié entre un loup-garou et un vampire comme impossible, contre-nature et inimaginable. Ou alors, si elle existait, c’était un cas isolé et très peu apprécié par les autres représentants des deux espèces. Et, généralement, ces derniers se débrouillaient pour y mettre fin – souvent par le biais de la mort de l’un des ‘rebelles’.
Si ces livres disaient vrais, alors elle devrait détester Prudence O’Donnell. Or, pourquoi haïr quelqu’un qui subit le même calvaire que vous ? A partir du moment où vous êtes dans la même galère, ne vaut-il pas mieux vous serrer les coudes ? C’était ce qui avait toujours dérangé Mary Jane dans le raisonnement des auteurs Moldus. Surtout que, bon, elle était dure à haïr cette diablesse. Même quand elle jouait à Chat.

Toutes à ses pensées, la jeune louve avait toutefois continué sa chasse, suivant la piste encore fraîche de sa meilleure amie. Maintenant qu’elle avait changé de forme, elles étaient à égalité : Mary Jane pouvait désormais sentir l’odeur particulière de Prue, à demie-sauvage et très peu humaine. Elle avançait doucement, le ventre frôlant le sol gelé, de façon à ce que sa forme immense ne soit pas trop visible. Mais malgré ses précautions, le haut de ses épaules était trop souvent visible à son goût. Décidément, on ne pouvait plus faire confiance aux bosquets. Brusquement, une branche craqua. Les oreilles de Mary Jane se tendirent, et elle leva la tête, le museau frissonnant d’anticipation. Regardez ! Au tournant d’un énorme pin, la louve aperçut les pointes de cheveux de Prue qui disparurent rapidement. Vue ! Avec un nouveau hurlement de joie, elle abandonna toute caution et s’élança à la poursuite de sa camarade, écrasant buissons et arbrisseaux au passage. Tant pis, ils repousseraient. Ils n’avaient qu’à ne pas pousser en travers de son chemin aussi. Ce n’était pas comme si elle comptait déboiser la Forêt Interdite. Elle rattrapait presque Prue lorsque celle-ci s’enfonça dans un chemin trop étroit pour que le corps de son amie ne puisse la suivre. Grognement de frustration de la part de cette dernière : elle allait devoir trouver une autre entrée. Marquant dans son esprit l’emplacement de la clairière – où Prudence se tapissait sûrement au moment même – la louve entreprit de faire le tour, pour trouver une autre entrée outre que ces arbres bien trop serrés l’un contre l’autre. C’était des amoureux ou quoi ? M’enfin, heureusement pour elle, la Veela trouva un endroit où un énorme chêne s’était effondré, dégageant assez de place pour qu’un éléphant puisse s’y glisser. Seul nuage à l’horizon : le tronc du chêne barrait la route. Pour un humain, c‘aurait été un problème. Pour une louve munie d’une force mainte fois supérieure à celle d’un être aussi faible, ce n’en n’était pas un. Mary Jane se recula quelque peu, de façon à bien pouvoir prendre son élan, et sauta. Pendant un bref instant, elle vola au dessus du tronc, vola littéralement. Puis, bien trop tôt à son goût, elle atterrit assez gracieusement dans la clairière, victorieuse. Son museau frémissant lui indiqua de Prudence était bien passée dans la clairière : son odeur était partout. Elle avait donc cherché à brouiller les pistes. Très intelligent mais, manque de chance, les orbes clairs de la bête remarquèrent que l’un des bosquet venait de bouger, très légèrement. Trouvée. Préférant savourer sa victoire encore un petit moment, Mary Jane se mit à renifler par terre, faisant mine d’être déconcertée par le jeu de l’O’Donnell. Cependant, elle se rapprochait petit à petit du bosquet où se trouvait tapie la vampire. Et soudain, n’y tenant plus, elle bondit, venant plaquer sa camarade au sol avec un aboiement taquin.
Quand on parle du loup, on en voit le bout de la queue.

« Grrr. » grogna-t-elle affectueusement, agitant sa queue touffue, ses pattes avant plaquant toujours Prue au sol. Traduction pour les ignorants: c’est toi le Chat. Bien entendu, elle était désormais incapable de parler normalement jusqu’au lever du jour, mais ce n’était pas un problème. Cela faisait des années qu’elle et la demi-vampire aux cheveux châtains et elle avaient appris à se comprendre sans parler. Heureusement, car il arrivait à Mary Jane de se sentir bien seule, les nuits de pleine lune. Avoir Prudence à ses côtés lui faisait énormément plaisir, surtout lorsqu’elles faisaient les imbéciles comme cela. C’était la seule qui l’ait jamais vue ainsi, outre sa mère. Sur qui d’autre pouvait-elle bondir sans écraser les os de sa victimes ? Qui d’autre était assez rapide pour pouvoir lui tenir tête ? Et qui, surtout, était assez folle pour jouer avec un loup-garou ?