Une larme. Une larme de trop.

Du revers de sa main, Candice chassa la fugitive perle coulant le long de sa joue. Elle n’aurait pas du rester aussi longtemps allongée sur le dos, contemplant le plafond sans vraiment le voir. Elle n’aurait pas du relire la lettre de sa mère. Pas du y penser, ni ressentir cette mélancolie. C’était juste qu’elle était si loin, dans son monde de moldus, entourée de personnes qu’elle n’aimait pas. D’autres alcooliques dont la boisson risquait de les faire basculer vers la mort. Et Candice était là, dans un château autrefois luxueux qui était devenu le refuge des âmes perdues. Dont elle faisait évidemment partie. Le monde extérieur la perçevait comme une petite teigne accro à la fumette et à la boisson. En réalité, elle était cette petite teigne, bien sûr, mais qui cachait une grande faiblesse qui n’était autre que cette mère qu’elle n’avait pas revu depuis si longtemps mais dont les lettres continuaient de l’atteindre, de la faire pleurer. En général, elle se consolait avec une bonne dose de whisky ou une cigarette et c’est d’ailleurs ce qu’elle finirait par faire plus tard dans la journée. Ou plutôt, dans la soirée. Pour le moment son regard vide, figé, glaçé, était arrêté sur le plafond, lequel était tout aussi insignifiant que la routine installée à Poudlard. « Tu me manques ». Pourquoi sa mère avait-elle écrit ces mots ? Ces trois mots, ces onze lettres sous lesquelles l’amour perçait. A vrai dire, la réciproque était on ne peut plus juste. Oui, sa mère manquait aussi à Candice, hélas elle était bien trop butée pour ne serait-ce que l’avouer. « Ton père me manque ».

LA FEEEERME. La ferme, bordel, la ferme maman !

Prévisible. La simple pensée de cet homme lui ferait perdre ses moyens. Les larmes se remettraient à couler, inlassablement, et elle n’aurait plus alors aucun moyen de s’arrêter. Cela faisait trop mal d’y penser, elle sentait à chaque fois son cœur se retourner, chavirer, la faire basculer avec ses battements si forts qu’elle avait l’impression qu’ils allaient la tuer. Elle ne pouvait tout simplement pas y penser. A ce moment-là, en observant ce mot, « père », Candice sentit la rage monter en elle avec une telle puissance qu’elle aurait pu défaillir. Son père était mort, putain. Mort et enterré, dans une tombe, son corps en décomposition depuis de trop longues, trop nombreuses années. Mort.

Candice sauta de son lit, en un mouvement rapide, et parcouru la pièce, fit les cent pas. Elle avait la lettre entre les mains, tremblantes, et ne parvenait pas à la déchirer, en faire mille morceaux qu’elle jeterait plus tard à la poubelle. Elle finit par s’arrêter, en plein milieu de la pièce, avant de revenir vers son lit, de poser la lettre sur les couvertures rouge vin, de prendre parchemin et plume, et d’écrire :

« Maman,
Je suis contente que ton séjour au centre de désintoxication se passe bien. Ici, tout va bien, ou tout du moins normalement, comme d’habitude. Tu me manques toi aussi.


Très bref contrairement aux deux pages de parchemin remplies de l’écriture irrégulière que sa mère lui avait envoyée. Tant pis. Elle n’avait qu’à pas inclure papa dans son roman.

La jeune fille alla jusqu’à sa commode de bois poli, ouvrit le premier tiroir et y retira un paquet de cigarettes moldues, un briquet et sa sempiternelle bouteille de whisky. Elle sortit de la pièce aussi vite que possible, abandonnant toute trace de nostalgie et reprennant ses traits durs et sérieux. Elle dévala les marches, atterrit en moins de temps qu’il n’en pour le dire, sur le sol du rez-de-chaussé et sortit du Château. Le vent se mit aussitôt à caresser ses joues, à soulever ses cheveux blonds. Ses grands yeux bleus aux cernes violettes mais surtout entourés de mascara et de crayon noir lancèrent des éclairs à quiconque croisait ce regard. Elle finit par arriver sous le chêne qu’elle avait l’habitude de fréquenter, sortit de sa poche son briquet et alluma une première cigarette. Bien sûr, les briquets étaient dépassés depuis le temps, surtout chez les sorciers. Ainsi les sorciers désireux de s’en fumer une, utilisaient leurs baguettes magiques. Mais évidemment, Candice ne faisait rien comme les autres et se démarquait par sa volonté de rester différente. Elle finit par s’asseoir, adossée contre son arbre fétiche et ferma les yeux, inspirant un grand coup avant de reprendre une taffe. L’ange rebelle ouvrit alors sa bouteille, la porta à ses lèvres et but une gorgée. Dans sa gorge, le feu s’embrasait suite au passage de la boisson. Elle déglutit, reprit une taffe, et le vit. Asselta. Aussitôt elle referma les yeux.

En effet, l’homme venait de l’atteindre, la regardant de son air réprobateur. Quelle vision devait-il avoir. Une jeune fille à la peau si blanche qu’elle en était quasiment transparante, aux cheveux de blé mais surtout aux grands yeux bleus transperçant habillée tout de noir, limite provocante. En train de fumer et boire pour oublier sa détresse.

Ben voyons. Un donneur de leçons, le voici le voilà. Candice n’avait vraiment pas envie de recevoir d’ordre de qui que ce soit, et encore moins d’un adulte, de surcroît Les Centaur étaient réputés pour ne pas aimer les adultes, car Poudlard avait toujours été un lieu plein de jeunes et non plein de vieux alors pourquoi ceux-ci revenaient au Château même en état de crise, en état de besoin de refuge pressant. Alors la jeune fit se remit à boire une goutte tout en veillant à jeter un regard assassin à Asselta. Celui-là était certainement sur le point de lui dire que boire, ce n’est pas bien, que fumer l’était encore moins et que la combinaison des deux relevait de la pure débauche. Mais elle n’en avait que faire, et partageait l’opinion des Centaure propos des adultes. Ils n’avaient tout simplement rien à faire ici. Un point c’est tout.

Elle jeta un regard vers le ciel brumeux, la lune commençant à apparaître, luminant avec grâce les environs. La paix n’y était qu’éphémère bien que rassurante. Candice referma les yeux pour apprécier de ce moment de solitude et de paix. Seule, accompagnée de ses meilleures amies en cas de détresse. Whiskey, clopes. Un savant mélange qui lui permettait de se libérer et de ne plus songer au mal qui la rongeait. Le meilleur allié que Candice n’avait jamais eu. Plus efficace qu’une partie de jambe en l’air, plus efficace qu’une leçon de morale à deux balles de nos chers parents, plus efficace encore que les drogues dures, que l’amitié et que l’amour. En terme d’oubli du désespoir, s’entend. Bref, efficace. Et la jeunesse pouvait se permettre de se procurer boisson et alcool. Or, Candice était jeune. Et rebelle.

Eh, salut, belle soirée pour détruire sa vie, tu ne trouves pas ?

Et n’aimait pas la plaisanterie, ni l’humour noir. Et encore moins que l’on se moque d’elle. Elle ouvrit les yeux, plongea ces derniers dans celui de l’homme d’âge plus avancé que la plupart des personnes ici, et lui lança un regard noir. Elle l’avait toujours dit, toujours clamé haut et fort : « je n’aime pas les railleries, je n’aime pas les suggestions morbides ». Asselta, gare à tes belles fesses. La nuit et sous l’emprise de la boisson, Candice est pire que d’ordinaire. Il n’avait qu’à se tenir à carreaux car elle n’était pas e état d’être pacifiste - elle l’était rarement de toute façon. Ses sourcils en accent circonflexe se remirent en place et elle détourna le regard loin de l’homme qui commençait à faire quelques pas dans la direction opposée. Mais bien sûr, elle ne pu s’en empêcher, ne pu résister à la tentation. Alors, elle parla.

C’est toi qui fais dans le mélodramatique, pas moi.

Le tutoiement envers les adultes, elle l’avait toujours utilisé. Même du temps de l’école primaire moldue, elle ne pouvait s’empêcher de dire « tu » à ses maîtres. Elle n’avait jamais côtoyé le vouvoiement, aussi étrange que cela puisse paraître. Les traditions n’avaient qu’à être bannies, de toute façon elles ne servaient à rien d’autre que bourrer le crâne aux âmes innocentes. Hm, innocente pour Candice, ce n’était pas approprié mais la généralité était juste. L’homme se retourna alors, et finit par s’approcher de la jeune blonde, lui fit face.

Je te conseille l'Armaniac, ça monte plus vite.

Réponse immédiate. Candice éclata de rire. Depuis quand les vieux connaissaient quoique ce soit en alcool ? Elle n’aurait jamais pensé qu’Asselta était du genre à s’y connaître, alors. Mais non, le whiskey était son ami, et elle n’était pas du genre à trahir ses amis, quelque soit le genre d’amis. Alors l’âme en détresse répondit sèchement, après avoir retrouvé son sérieux.

C’est ça. En tout cas, j’pensais pas que les vieux dans votre genre s’y connaissaient en la matière.

Elle prit une pause avant de reprendre taffe puis parole :

Enfin cela dit, à votre âge, ça doit pas être facile tous les jours de s’éclater !